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P5 - "Faire société"

Présentation des enjeux du chapitre (problématisation)

           L’interrogation sur le lien social est fondatrice en sociologie. Elle est au cœur des premiers écrits d'Emile Durkheim. Dans De la division du travail social (1893), il se penche notamment sur les transformations du lien social (qu’il appelle « solidarité ») liées aux transformations de la société. Il montre que l’industrialisation de la société a conduit à une transformation de la solidarité, passée de sa forme « mécanique » à sa forme « organique ». Pour lui, le développement de la société industrielle conduit à une recomposition du lien social et expose les individus à une fragilisation des liens sociaux lorsque l'individualisme devient excessif. Les nombreuses transformation de la société contemporaine ont redonné une forme d'actualité à cette question du lien social pensée en termes sociologiques depuis la fin du XIXème siècle. 

           C’est pour cette raison que l’on se demandera s’il est plus difficile de faire société dans nos sociétés modernes contemporaines ?

           Pour étudier cette question, il apparaît pertinent de se demander d’abord comment se construisent les liens sociaux en reprenant les notions de groupe social et de liens sociaux en s’appuyant sur l’incontournable typologie de Serge Paugam (IA), on détaillera aussi ce que l’on entend par « société moderne » en la comparant au lien social dans les sociétés dites « traditionnelles » (IB). Ensuite, on se demandera, par une lecture plus contemporaine du lien social, si certaines évolutions récentes fragilisent les liens sociaux (II). On verra que si certaines fragilisent les liens sociaux sans forcément les rompre (chômage, précarité, ruptures familiales), pour d’autre, la corrélation est moins évidente (utilisation du numérique, ségrégation spatiale). Pour conclure et élargir notre raisonnement nous soulignerons comment l’augmentation des risques notamment sociaux, qui est l’autre caractéristique des sociétés modernes (au côté de l’individualisme) selon Ulrich Beck, est prise en charge collectivement. 

1) Comment fait-on société ?

1.1 La société n'est-elle qu'une somme d'individus ?

Les liens sociaux*, définis comme les relations qui unissent des individus faisant partie d'un même groupe social*, apportent à la fois reconnaissance et protection. Pour reprendre Serge Paugam : " L’expression « compter sur » résume assez bien ce que l’individu peut espérer de sa relation (...) en termes de protection, tandis que l’expression « compter pour » exprime l’attente, toute aussi vitale de reconnaissance.

Des exemples de groupes sociaux (= ensemble des individus partageant un sentiment d'appartenance)

La vie sociale ne se résume pas à un face à face entre l’individu et la société. Les individus sont insérés dans différents groupes sociaux* au sein desquels ils entretiennent des liens sociaux* de nature différente (électif, filial, organique et citoyen) apportant chacun reconnaissance (« compter pour ») et protection (« compter sur »). Prenons l'exemple du lien, très fort, qui unit parents et enfants (lien de filiation). Les parents apportent tout d'abord une protection à l'enfant. Ce rôle de protection de la part du parent est d'ailleurs retranscrit dans le code civil. Les enfants ont aussi un besoin de reconnaissance ("compter pour") l'affection qui lie parents et enfants en est une bonne illustration.  Aussi, au sein des groupes de pairs peut se former un lien électif caractérisée par une reconnaissance forte et une protection "compter pour". Ainsi, les amis forment un groupe de pair qui apporte à la fois reconnaissance et protection. Reconnaissance par l'amitié qui lient les individus : on compte pour eux par définition car ils nous reconnaissent comme ami; et protection parce que l'on peut compter sur eux en cas de difficultés.  Il est à noter que les liens de protection et reconnaissance se brisent plus facilement dans le cas par exemple des amis ou des collègues (liens électifs) que de celui de la famille (lien de filiation) du fait de son statut juridique particulier. 

1.2 Quelles différences entre la société traditionnelle et la société moderne ?

A partir des XIV° et XV° siècles, avec la Renaissance, émerge une nouvelle manière de vivre et de concevoir sa destinée, de maîtriser sa vie en étant libre et responsable : l'individualisme, indissociable de la modernité et de la démocratie. Petit à petit, le processus d’individualisation ou individualisme permet d'arracher l'individu à l'emprise de la communauté afin de prendre en charge son propre destin, de construire son être, d'effectuer des choix personnels : il s'affranchit de la tutelle de l'État-nation, de la Famille et de l’Église. L'individu moderne est désormais seul face à lui-même, face à sa destinée. Mais pourquoi, malgré le fait que les individus s’émancipent de plus en plus des institutions traditionnelles la société ne disparaît pas ? C’est Émile Durkheim qui nous apportera un élément de réponse. 

Selon lui, à mesure que la division du travail social (il appelle ainsi la spécialisation des individus dans des tâches) devient plus intense l'individu s'autonomise du groupe. Ce processus est appelé individualisme*.

Les sociétés modernes sont caractérisées par des liens sociaux qui mettent en avant l'individualité c'est-à-dire les différences entre individus. En revanche, la solidarité qui repose sur la ressemblance ne disparaît pas pour autant. L'individu devient donc à la fois plus autonome (individualité) mais attaché à des groupes fondés sur la solidarité mécanique (fan de football, groupe d'ouvriers). Dans ces deux groupes sociaux, l'identité collective est forte et la conscience individuelle faible. 

 

Dès lors, le passage d'une solidarité principalement mécanique* (liens sociaux fondés sur la ressemblance) à une solidarité organique* (liens sociaux fondés sur les différences et l'individualité) ne fait pas pour autant disparaître la société. Premièrement, il ne faut pas oublier que l'humain est un être social "fabriqué" par la société via le processus de socialisation*. Ainsi, durant la socialisation primaire* un socle commun de normes et valeurs est transmis et permet à l'individu de faire partie intégrante de la société. Même en s'émancipant du poids des groupes ce socle de normes et valeurs reste profondément ancré, on dit qu'il est incorporé. De fait la société arrive à se maintenir grâce à ce processus de socialisation. (chap. 4). Deuxièmement, en prenant de la distance par rapport aux groupes qui composent la société, autrement dit en s'émancipant, les individus mettent en avant leur individualité. Ils se différencient des autres individus. Et, pour Emile Durkheim, le fait même d'être différent de remplir des tâches particulières nous rend complémentaires et interdépendants : on ne peut que composer avec les autres individus.

 

Pour résumer, la société se maintient parce que les liens de solidarité organique se développent (via la division du travail social) et parce que les liens de solidarité mécanique ne disparaissent pas (via le processus de socialisation qui transmet un socle commun que l'on nommera "culture"). 

La série Game of thrones (GoT pour les intimes) regorgent d'illustrations de la solidarité mécanique (les principaux liens sociaux qui se tissent à l'intérieur des maisons les plus éloignées de la capitale sont de type mécanique. Les membres de ces royaumes doivent se ressembler, la conscience collective est forte et la conscience individuelle presque nulle pour les habitants (ex. île de fer). Autre exemple de solidarité mécanique parfaite : les gardes de nuit (mur du nord). Ils n'existent que pour servir cette garde de nuit. Leur individualité est en théorie nulle. En revanche, à l'intérieur du château de port royal les membres les plus hauts placés sont interdépendants donc leurs liens relèvent aussi de la solidarité organique.

Ecouter et retenir surtout le début de la vidéo

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Remarque (Hors-programme) : L'expression "faire société" relève d'une approche constructiviste du social.  Pour cette approche, la société n'est pas une simple somme d'individus et elle ne s'impose pas non plus totalement aux individus. Elle préexiste aux individus, qui, par leurs actions la transforme. 

Constructivisme (extrait d'un lexique et hors-programme) : désigne un ensemble de travaux en sciences sociales qui appréhendent la réalité sociale, non comme une réalité en soi (une chose) mais à la manière de productions élaborées par des acteurs individuels ou collectifs en situation. L’attention est ainsi portée aux actions concrètes, aux savoirs mobilisés pour la conduite de leur action, ainsi qu’à la temporalité de cette dernière. Les actions sociales s’inscrivent ainsi dans un monde social lui aussi construit, dont la consistance résulte d’actions antérieures.


1.3 Un exemple de représentation de la société moderne contemporaine : les PCS.

Si, par l'intermédiaire de la socialisation, le lien social est possible, c'est parce que chaque individu est inséré dans une multitude de groupes sociaux caractérisés par des liens sociaux et une solidarité. Mais ces derniers sont de tailles diverses (il existe des groupes restreints comme la famille, des groupes intermédiaires comme une association, et des groupes de grande envergure comme une classe sociale), en nombre et de périmètre variables dans le temps et selon les sociétés. Les pouvoirs publics autant que les chercheurs ont besoin de pouvoir repérer, quantifier et classer les individus qui composent une société afin d'en mesurer les évolutions, d'en connaître les motivations et d'en étudier les dynamiques. 

Activité 3

Lors de l'activité 3 vous avez relevé un certains nombres de critères que lesquels s'appuyer pour classer ces individus : Le fait d'être salarié ou non, le niveau d'étude, le secteurs d'activité, le fait d'être responsable ou on d'une équipe ... Hormis le niveau d'étude de l'individu* tous ces critères sont utilisés par l'Institut National des Statistiques et des Etudes Économiques (INSEE). La dernière nomenclature date de 2003 et vous pouvez la consulter en cliquant ici.  Toutes les professions sont rangées à un niveau du plus fin (48 catégories) à un niveau plus agrégé (8 catégories). C'est ce dernier niveau que vous devrez connaître. Voici comment sont construites ces 8 catégories : 

 

* ce n'est pas le niveau d'étude de la personne qui compte mais le niveau de qualification de l'emploi exercé. Par exemple, avoir un niveau d'étude élevé n'empêche pas d'exercer un emploi moins qualifié (BAC+5 et être équipier polyvalent dans la restauration rapide). 

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Faire le lien avec le IA et IB : Les PCS mettent en évidence l’interdépendance des individus à travers le lien de participation organique.

 

2) Les liens sociaux dans les sociétés modernes contemporaines sont-ils plus fragiles ?

En se détachant du poids des institutions traditionnelles : Famille, Nation, Religion du fait du processus d’individualisation, ou individualisme, les individus sont devenus plus vulnérables face à des risques de plus en plus nombreux. 

2.1 Quels sont les facteurs socioéconomiques contemporains qui conduisent à une affaiblissement voire à une rupture des liens sociaux ?

Analyse du sujet de dissertation : Le lien social est-il plus fragile dans les sociétés modernes contemporaines ?

 

Quel lien avec ce qui a été fait en classe lors de la précédente séance ? 

On veut que vous "discutiez" de quoi [c'est-à-dire de quelle thèse, de quelle affirmation] dans ce sujet ?

Quel cadrage spatio-temporel ?

Quelles définitions mobiliser ? Non seulement celles du sujet mais aussi d'autres notions/mécanismes/faits ...

 

 

A mobiliser

 

L’individu contemporain, parce qu’il se détache volontairement et plus facilement des liens sociaux non-choisis, est davantage exposé à leur fragilisation. En effet, les liens sociaux électifs (conjugaux, amitiés) sont intrinsèquement plus fragiles car ils peuvent se rompre plus facilement dans la mesure où ils ne relèvent d’aucune contrainte formelle (contrairement au mariage) ou informelle (comme la réputation/mœurs).

 

Le chômage et la précarité mettent aussi à rude épreuve l’individu contemporain. Alors qu’avoir un emploi stable apporte une protection (financière notamment) le chômage et la précarité rendent l’individu plus vulnérable face aux aléas. Aussi avoir un emploi c’est « compter pour » les autres, se sentir utile et intégré dans la société. Il faut penser avec Émile Durkheim que les sociétés modernes reposent principalement sur la solidarité organique. Le chômage de masse et la précarité sont, en ce sens, des enjeux centraux dans nos sociétés modernes contemporaines.

 

Les inégalités sont, elles aussi, un facteur de fragilisation du lien de citoyenneté. En principe, les membres d’une même communauté politique ont les mêmes droits. Or, la ségrégation spatiale (doc. 3) mais aussi la ségrégation scolaire (doc. 2) sont des illustrations de la rupture de cette égalité de droit. Ces inégalités sont moins nombreuses qu’à l’époque d’Émile Durkheim mais elles n’en sont pas moins insoutenables dans la mesure où elles sont considérées comme injustes alors que l’individu moderne a un désir de protection et de reconnaissance de ses droits.

 

Enfin, les individus ne sont pas touchés de la même façon par la fragilisation des liens :

  • Par exemple, les ruptures conjugales fragilisent davantage les liens électif (doc. 4) et organique (elles sont plus touchées par la précarité) des mères. Du côté des pères, c’est le lien de filiation qui est fragilisée par la distance physique avec l’enfant. 
  • Autre exemple, l’âge rend les personnes plus vulnérables (cf. un peu plus haut). 
  • Un dernier exemple, non développé précédemment, le risque de chômage concerne certaines parties de la population (les plus jeunes et les moins diplômés). A titre d’information, un jeune sans diplôme a 10 fois plus de chances d’être au chômage (40%) qu’une personne plus âge ayant un diplôme supérieur à bac +2 (4%). Cette probabilité augmente lorsqu’il est issu d’un quartier populaire. 

2.2 La montée de la sociabilité numérique met-elle en danger le lien social ? [sera réalisé sûrement en classe]

2.3 Pourquoi relativiser la thèse d'une crise du lien social  ? [à mobiliser en dissertation]

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