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Correction EC3 : montrez qu'un approche en termes de classes sociales restent un outil pertinent pour rendre compte de la société française actuelle

 

Pour Louis Chauvel, il n'y a pas de doute, on assiste à “un retour des classes sociales”, comme il le titre dans la revue de l’OFCE. Karl Marx, dès 1867, les définit comme des groupes sociaux qui partagent la même place dans les rapports de production et animés par une conscience de classe. S’il est difficile de lire dans la société française du XXI ème siècle les mêmes classes sociales que celles décrites par l’auteur (bourgeois et prolétaires), il n’en demeure pas moins que son analyse, tout comme celle de Max Weber, restent toutes deux d’actualité. Pour cela nous montrerons non seulement la conscience de classe (I), mais aussi que les distances interclasses n’ont pas disparu (II). D’un point de vue plus dynamique, il s’agira ensuite de mettre en évidence une certaine imperméabilité entre les classes sociales (III).

 

Tout d’abord, la conscience de classe n’a pas disparu. En effet, pour Karl Marx, les classes pour soi sont animées par une conscience de classe qui se fonde elle-même sur la connaissance, même partielle, des inégalités économiques et de sa place dans l’espace social. L'enquête téléphonique, qui s’appuie sur la méthode des quotas, réalisée par TNS-SOFRES abonde dans ce sens : sur les 1504 français interrogés en 2015, 65% déclarent appartenir à une classe sociale. Cette proportion a même progressé depuis l’enquête de 2001 de 11 points. Toujours d’après la même enquête, sur les 65% qui ont déclaré appartenir à une classe sociale, seulement 6% pensent appartenir à la classe des ouvriers. Un chiffre qui peut sembler faible surtout quand on sait que ce dernier groupe socioprofessionnel représente encore plus 20% de la population active. Cependant, au regard des transformations du groupe ouvrier, notamment leur “déprolétarisation”, on peut supposer qu'une majeure partie d’entre eux se sentent appartenir aux classes moyennes qui sont, pour Max Weber une classe sociale. Nous allons voir justement que les frontières entre ces deux classes sociales se sont juste déplacées. Enfin, des conflits récents dans le monde de travail apportent encore une fois une certaine actualité à l’approche marxiste des classes sociales puisque d’après lui il existe un conflit, une lutte entre les classes sociales, conflit qui est par ailleurs “moteur de l’histoire”. Le mougvement des gilets jaunes et le mouvement des femmes de chambres travaillant à l’hôtel Ibis Batignolles peuvent être considérés comme des conflits de classe car ils rassemblaient une proportion importante de membres des classes populaires, fraction de la population dominée économiquement. Plus précisément, les Gilets jaunes sont composés à 50% d’employés et d’ouvriers et les femmes de chambre de l’hôtel appartiennent toutes au Groupe SocioProfessionnel des employées. 

 

Sur un temps long, les distances interclasses persistent et se métamorphosent sans pour autant disparaître. Ainsi, les écarts de modes de vie, de pratiques culturelles se sont modifiés au cours du temps. C’est le cas du groupe ouvrier, qui a pu profiter d’une certaine manière de la moyennisation, sans pour autant se fondre avec les autres classes sociales.  En effet, les écarts de temps de travail entre les ouvriers et les cadres se sont réduits, d’où certainement cette perception d’appartenir à une classe moyenne, mais dans le même temps les pratiques de sociabilités se sont transformées. La distinction entre les classes populaires et les classes moyennes et aisées perdurent. Par exemple, Pierre Gilbert décrit dans son article “les nouvelles classes populaires” disponible sur le site la vie des idées (2016) : “une transformation des usages du temps libre, avec le développement des pratiques de sociabilité à domicile (..) dans le même temps les cadres ont vu (...) leur sociabilité alimentaire se déplacer à l’extérieur du logement”. Pour résumer, les cadres, dont une partie peut être rangée parmi les classes aisées, vont davantage au restaurant et reçoivent moins chez eux. Autre exemple, qui permettrait d’illustrer cet écart en termes de pratiques de consommation : les ménages les plus aisés ont la possibilité d’avoir recours au travail des femmes membres des classes populaires (ménage, garde d’enfant), si bien que pour les auteurs Clément Carbonnier et Nathalie Morel, on assiste à un retour des domestiques (2018). Ainsi, loin de s’opposer les rapports sociaux de genre et de classe s’articulent. Ces exemples confirment l’idée formulée par Max Weber de l'importance de prendre en compte les pratiques de consommation pour construire les classes sociales (il part plus spécifiquement de ce qu’il appelle les classes de possession). 

 

Dernier argument en faveur d’une lecture de la société française en termes de classes sociales : les frontières entre classes sociales sont de plus en plus difficiles à franchir. En d’autres termes, il est plus difficile de passer d’une classe sociale à une autre : les bourgeois sont de plus en plus endogames, la mobilité sociale ralentit pour les classes sociales qui se situent d’un bout à l’autre de l’espace social et enfin ces différences se traduisent dans l’espace. Si ces phénomènes ne sont pas nouveaux, nous pouvons cependant considérer qu’ils se sont accentués au cours du temps, en bref, la dynamique s'est inversée. A ce jeu, ce sont les classes aisées qui sortent gagnantes dans la mesure où elles mettent délibérément en place des stratégies de reproduction via le choix du conjoint, du lieu de résidence et de l’établissement scolaire. D’ailleurs, le couple de sociologues, Monique Pinçon Charlot et Michel Pinçon (décédé en 2022) affirment que la bourgeoisie a tout d’une classe pour soi au sens de Karl Marx. Par leurs stratégies de différenciation et de reproduction, les bourgeois mettent à distance à la fois les classes moyennes et plus encore les classes populaires. Les classes moyennes, quant à elles, vont chercher à se démarquer et à se distancier des classes populaires déjà de façon subjective (en se déclarant comme membres des classes moyennes, comme nous le voyons dans le document 1), par leurs pratiques de consommation mais aussi par leur choix, même contraints, du lieu de résidence. Certains quartiers, étiquetés comme quartiers sensibles sont soigneusement évités. L’ouvrage panique dans le 16ème, qui relate un mouvement social né dans le l'arrondissement très riche de Paris en opposition à l’ouverture d’un centre d’accueil de migrants, fait mention de ses stratégies et des conséquences en termes de mixité sociale et géographique “Les beaux quartiers s’opposent aux quartiers populaires, et les uns et les autres aux quartiers à la configuration sociale moins tranchée où dominent les classes moyennes”. 

 

Ainsi, que ce soit d'un point de vue subjectif (conscience de classe) ou objectif (distances interclasses), les classes sociales restent un outil pertinent de la société française actuelle. D'autant plus que la dynamique actuelle des distances sociales et de la mobilité sociale vont dans le sens d’un accroissement des différences entre classes sociales.

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